Entretien avec Jean-François Douroux : l’ingénierie performancielle au service des structures existantes

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Jean-François Douroux, spécialiste en gestion et maintenance d’ouvrages, partage son expertise sur l’ingénierie performancielle des structures existantes. Cette ingénierie, qui combine instrumentation et modélisation numérique, permet de mieux comprendre le comportement mécanique réel des structures existantes et d’adapter les interventions pour prolonger leur durée de vie. Dans cet entretien, il explique pourquoi cette méthode est cruciale pour assurer la résilience des ouvrages face aux défis d’exploitation et du vieillissement.

1. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste l’ingénierie performancielle des structures existantes ? 

Je vois un grand intérêt pour la gestion des ouvrages existant à coupler une approche par instrumentation qui permet d’avoir des données sur le comportement réel de l’ouvrage à une approche par modélisation numérique qui permet de comprendre le fonctionnement de l’ouvrage et d’estimer sa sensibilité à un certain nombre de paramètres. 

Travailler sur un ouvrage existant oblige à se départir de l’approche pratiquée en conception, ou les schémas de calcul ont un caractère à la fois théorique et conventionnel. 

Théorique parce que la structure n’existe pas et que l’on prend en compte un schéma prévisionnel de fonctionnement pour le calcul ; et conventionnel parce que l’on va se référer aux normes européennes (Eurocodes pour la construction) dont l’objectif est, pour un client, de permettre de comparer des offres avec un niveau de sécurité et de pérennité équivalent, mais pas de décrire le fonctionnement réel d’un ouvrage. 

2. Selon vous, quels sont les principaux avantages de l’ingénierie performancielle par rapport aux méthodes d’ingénieries traditionnelles ? 

D’abord je pense que le maintien en état opérationnel des ouvrages existants est un enjeu majeur dans la lutte pour la décarbonation de notre société. L’immense majorité des constructions existantes ont fait la preuve de leur capacité à assurer leur fonction avec un bon niveau de sécurité. Il est primordial de maintenir ces constructions en service en mettant en œuvre les mesures adaptées pour assurer un niveau élevé de sécurité (surveillance, entretien, réévaluation globale de l’ouvrage et de son fonctionnement quand cela est nécessaire). Il y a actuellement un immense danger à se lancer uniquement dans un recalcul d’un ouvrage ou d’un bâtiment en utilisant les Eurocodes et à conclure que le bâtiment ou l’ouvrage doive être reconstruit ou doive faire l’objet de renforcements très importants. Plusieurs fois une instrumentation adaptée en lien avec une modélisation nous a permis de conclure que l’approche uniquement calcul était beaucoup trop pénalisante. 

3. Comment l’ingénierie performancielle contribue-t-elle à la résilience des infrastructures face aux défis climatiques et environnementaux ? 

Face aux évolutions climatiques, il sera probablement nécessaire à l’avenir de s’assurer du bon fonctionnement des ouvrages pour des niveaux de sollicitations pas toujours pris en compte lors de la conception il y a 50, 100 ou 200 ans. L’approche couplée sera alors, je n’en doute pas, la plus pertinente. 

4. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de projets où l’ingénierie performancielle a permis de prolonger la durée de vie des ouvrages d’art ? 

L’approche performancielle, en couplant mesure et modèle de calcul recalé aux mesures, nous a permis de déterminer le coefficient de frottement réel d’appareils d’appui sur les viaducs métalliques du métro aérien des lignes 2, 5 et 6 du métro de Paris. Suite à un incident, l’approche mise en œuvre nous a permis d’abord de comprendre de manière quantifiée l’origine de l’incident, et ensuite de conclure à la nécessité de remplacer les 700 appareils d’appuis mobiles sur ces ouvrages. 

Sur un autre exemple, nous avions prévu un renforcement d’ouvrage en maçonnerie. Suite à l’instrumentation, et au couplage avec la modélisation, nous avons conclu que notre projet de renforcement était inadapté et même dangereux. Nous allions rigidifier un ouvrage, alors que la souplesse du fonctionnement de la maçonnerie permettait une reprise adéquate des effets thermiques (dilatation et retrait). 

Enfin l’approche couplée nous a permis déterminer le fonctionnement réel des ouvrages aériens du métro de la ligne 6 sous les efforts de freinage des rames de métro. Les résultats nous ont permis valider le niveau de sécurité des appuis vis-à-vis de ces sollicitations. Le comportement réel de ces ouvrages sous ces sollicitations de freinage s’est avéré très éloigné des schémas de fonctionnement pris en compte dans les calculs conventionnels. 

5. Que dites-vous aux bureaux d’études et aux maîtres d’ouvrage qui hésitent encore d’adopter cette approche pour compléter leurs études de projet de réhabilitation ? 

Les ouvrages construits ont un comportement complexe qui bien souvent nous échappe. Ne pas comprendre comment ils fonctionnent c’est s’exposer à commettre réaliser des interventions inefficaces voir dangereuses. En tout cas c’est l’expérience que je retire en ayant eu à m’occuper des ouvrages RATP pendant 20 ans. 

 

jean-francois dourouxJean-François DOUROUX est diplômé de l’Ecole Centrale de Lyon et du Centre des Hautes Etudes de la Construction (CHEC). Son parcours professionnel, après quinze années sur la construction de grands ouvrages, s’est principalement articulé autour de la gestion de patrimoine et de la maîtrise d’ouvrage dans le secteur des infrastructures et des ouvrages existants. Il a occupé le poste de responsable du contrôle du patrimoine et de la maîtrise d’ouvrage à la RATP, où il a supervisé de nombreux projets d’entretien et de réparation d’ouvrages. Actuellement, Jean-François DOUROUX est directeur du Centre des Hautes Etudes de la Construction. Il est aussi directeur technique du projet de recherche DOLMEN (Développement d’Outils et de Logiciels pour la Maçonnerie Existante et Neuve), et membre du conseil scientifique et technique pour les Journées Nationales de la Maçonnerie, un évènement clé pour les professionnels du secteur. Enfin il est membre du conseil d’administration de l’IMGC.